Préparer les Championnats du Monde des Jeunes Chevaux – 1

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Depuis 1992, la WBFSH (World Breeding Federation for Sport Horses) organise les Championnats du Monde des Jeunes Chevaux dans les trois disciplines olympiques. Si cette année les Mondiaux de saut d’obstacles de Lanaken (BEL) n’ont pas pu avoir lieu à cause de la COVID-19, ceux de complet ont déjà rendu leur verdict à la suite d’une compétition à huis clos au Lion d’Angers, ici en France. Cette fin d’année 2020, c’est au tour des jeunes chevaux de dressage d’aller se mesurer les uns aux autres sur les rectangles à Verden (GER) du 8 au 13 décembre. Cet évènement rassemble, vous l’aurez compris, les meilleurs chevaux de leur génération et les espoirs de la discipline. La France envoie cette année deux couples par catégorie d’âge. Vous pouvez retrouver toutes les seléctions sur le site Eurodressage, qui y consacre plusieurs articles.

Les plus jeunes chevaux de la compétition auront donc 5 ans. Un tel événement, c’est une évidence, demande une préparation rigoureuse et toute spécifique, puisqu’elle concerne un jeune cheval, en croissance et en formation. C’est pourquoi aujourd’hui, nous vous emmenons à la rencontre d’Antoine Nowakowski, installé en Belgique aux écuries du Moulin, qui présentera sa jument Quater Girl (HAN par Quaterhall x Donnerfee * Don Henrico) dans l’épreuve des 7 ans.

Dans deux articles différents, Antoine nous parlera de la préparation de sa jolie jument alezane, sur le plan mental puis sur le plan technique. Bienvenue dans le premier épisode, et bonne lecture !

@antoine_nowakowski_dressage

1. Être bien au quotidien

En premier lieu, est-il bien nécessaire de rappeler que le moral d’un cheval dépend en grande majorité de sa qualité de vie au quotidien. « Comme tous les chevaux ici, aux écuries, Quaty sort tous les matins, été comme hiver et sept jours sur sept. (…) Ils ont chacun deux prairies en herbe individuelles : une d’hiver et une d’été, ce qui permet de tourner toute l’année pour avoir toujours de l’herbe. » En plus de ces sorties en liberté quotidiennes, le planning de la semaine compte quatre séances montées dont une sans bridon » ainsi qu’une séance « en main, pas forcément une longe systématique mais j’aime passer du temps avec elle pour comprendre son état d’esprit, son humeur et essayer de sentir ce dont elle a besoin». Pour compléter la semaine, Quater Girl fait une séance hebdomadaire de marcheur. Enfin, environ toutes les deux semaines, Antoine travaille sa jument sur les barres au sol ou cavalettis.

« Quaty sort tous les matins, été comme hiver et sept jours sur sept. »

Antoine Nowakowski

Quater Girl est le genre de cheval que les anglophones appellent « eyecatcher ». Mais si son physique et sa gestuelle nous captivent, ce qui lui permet de sortir du lot est peut-être son charisme… Il émane du couple qu’elle forme avec Antoine une alchimie incontestable, que l’on sent basée sur une confiance solide de l’un envers l’autre. Car cette énergie, propre aux excellents chevaux, est à double tranchant : elle ne peut être mise à profit et devenir expressivité que lorsqu’elle est canalisée par une solide sérénité. C’est sur ces bases qu’Antoine juge que la sensibilité de sa jument est « à la fois son défaut et paradoxalement sa plus grande qualité » avant d’ajouter que « son point fort est aussi son énorme volonté : quand je la monte, il n’y a jamais un moment où elle ne me montre pas l’envie de travailler avec moi. »
Le défi étant d’apprendre à gérer cette sensibilité, cette énergie, Antoine explique qu’avec le temps, sa réaction à la peur a changé : « quand elle a peur de quelque chose, (…) elle a tendance à réfléchir par elle-même. C’est une sorte de conditionnement, elle n’était pas comme ça lorsqu’elle est arrivée, elle avait vraiment cette tendance à fuir énormément et on lui a appris à se poser en lui disant : « ok, tu as peur, on accepte que tu aies peur mais tu ne peux pas prendre de vitesse, ni fuir à droite ou à gauche.«  J’essaie de leur apprendre à trouver une autre solution par eux-mêmes. (…) ; elle aura toujours peur aux mêmes endroits mais maintenant ce sont des choses que j’arrive mieux à gérer. Je pense que c’est parce que je les monte comme ça, à encourager l’analyse plutôt que la précipitation, que j’arrive à les monter sans bridon.« 


C’est à 4 ans et demi que Quater Girl fait la rencontre d’Antoine. Déjà débourrée mais très verte dans le travail, ce dernier prend rapidement conscience du potentiel de la nouvelle recrue. « On a vite cliqué ensemble, ça a matché. Ma femme plaisante souvent en me disant que je suis amoureux de ma jument ! Elle n’a pas tort, en un sens.« 
Petit à petit, la relation de confiance qui s’installe entre eux permettra à la jument de se sécuriser et d’utiliser toute l’énergie dont elle est dotée à bon escient : pour briller de son charisme évident.

« Je pense que c’est parce que je les monte comme ça, à encourager l’analyse plutôt que la précipitation, que j’arrive à les monter sans bridon.« 
© Collection privée du cavalier

Un cheval mal dans son corps ne sera jamais bien dans sa tête, c’est pourquoi la jeune protégée d’Antoine Nowakowski est suivie très régulièrement par plusieurs professionnels : « L’ostéopathe, c’est un check-up tous les 3 mois, d’office. Pour le maréchal-ferrant, on est vraiment fixés à toutes les 6 semaines et on essaie d’avoir une ferrure qui n’est pas forcément très compliquée mais hyper adaptée : on fait des radios des pieds de la jument (…) et on adapte au maximum les fers. (…) Le dentiste, c’est tous les six mois, (…) parfois juste pour vérifier qu’il n’y ait pas une petite pointe d’émail qui a poussé. Globalement, on est à l’écoute au quotidien pour s’adapter au jour le jour. Je fais pas mal d’éthologie aussi, on est suivis. Pour les jeunes chevaux, je travaille fréquemment avec Sophie Waldburg, elle ne gère pas mes chevaux au quotidien mais on travaille ensemble et elle me donne son point de vue. (…) Je n’ai pas eu de formation en Horsemanship, et avoir à mes côtés des professionnels très qualifiés dans leur domaine, c’est vraiment un plus. »
Tous ces professionnels gravitent autour de Quater Girl, optimisant au maximum son bien-être. « Ça en fait déjà pas mal ! » plaisante Antoine.

2. La sérénité dans le travail

Mais afin d’obtenir le bien-être complet de Quater Gril, au-delà des efforts quotidiens de toute l’équipe pour assurer son suivi, il faut qu’elle s’accomplisse pleinement dans ses activités de la journée, qu’elle prenne du plaisir à travailler chaque jour. Pour cela, nous avons déjà vu qu’Antoine fait varier les tâches au cours de la semaine, incluant des séances plus ludiques et d’autres plus techniques
Il faut avouer qu’il est assez rare de voir des cavaliers de dressage utiliser le bridleless au quotidien avec leurs chevaux de haut niveau. « J’ai commencé le bitless pendant le confinement, parce que je m’ennuyais un peu, en fait ! C’est quelque chose que j’avais dans la tête depuis pas mal de temps en fait, et puis je me suis lancé. C’est venu assez naturellement. Tout d’abord uniquement pour nous amuser. Puis j’ai rapidement eu la sensation que ça allait m’apporter un plus dans mon travail. Je sens mes chevaux plus disponibles, plus à l’écoute et on est bien plus complices. Je repense à une phrase qu’a dite Patrick Le Lay, PDG de TF1 ® à l’époque, et que j’ai entendu pendant mes études en école de commerce : « Ce que nous offrons à Coca-Cola ® c’est du temps de cerveau disponible. » J’ai réellement cette sensation que la pratique du Bridleless offre à mes chevaux de la disponibilité lorsque je reviens à des mouvements plus techniques. »

« J’ai réellement cette sensation que la pratique du Bridleless offre à mes chevaux de la disponibilité lorsque je reviens à des mouvements plus techniques.« 
© Collection privée du cavalier

Il est important d’instaurer des points de repère pour les jeunes chevaux pendant les séances de travail, des exercices qu’ils connaissent, qui les rassurent et qui peuvent servir à faire redescendre la pression. Créer ces exercices à la maison permet de les utiliser dans des situations où l’émotion peut prendre le pas : par exemple, une détente bruyante et agitée, des enceintes, un speaker, etc. « Parfois, ce qui permet de la rassurer c’est de la laisser réfléchir par elle-même tranquillement. Elle a appris à redescendre en pression seule. Mais c’est vrai que dans les paddocks de concours, si cela m’arrive juste avant de rentrer en piste, j’aurais plutôt tendance à utiliser l’enchaînement rapide de mouvements latéraux comme épaule en dedans et tête-au-mur pour la rendre à nouveau disponible et « entre mes deux jambes ». »

« J’ai commencé justement en pensant que ça n’allait pas m’apporter grand chose et je suis très surpris parce que ça m’apporte énormément dans le sens où ça rend mes chevaux plus contents de travailler, plus disponibles. Je sens qu’ils ont plus envie de jouer avec moi, en fait.« 
© Collection privée du cavalier

Au quotidien, Antoine est suivi très régulièrement par Françoise Hologne depuis des années, et s’est entouré récemment d’Eddy Swennen. Il fait aussi appel à Isabelle Judet, juge 5* française, qui organise notamment des clinics chez lui, aux écuries du Moulin.

3. La pression de l’évènement

Ce Championnat du Monde des Jeunes Chevaux, en plus de rassembler les meilleurs, va tester leur habilité à évoluer dans un milieu stressant, à se donner au maximum malgré l’environnement. La plupart des chevaux y découvriront les atmosphères des plus grands événements ; pour bien se présenter, ils devront être solides mentalement.
Le voyage jusqu’à Verden est en réalité la première épreuve de ce concours, même si « Quater Girl est très cool dans les transports : elle ne bouge pas et passe son temps le nez dans son foin. Je ne l’attache d’ailleurs même pas.« 

Le départ est prévu le mardi matin, pour une arrivée dans l’après-midi « on a que 5h de route, c’est l’avantage d’être en Belgique : on a déjà fait la moitié de la route, voire plus par rapport à certains cavaliers français qui se rendent en Allemagne« . Le mardi et le mercredi permettront de faire deux séances plus tranquilles pour permettre à la jument de s’acclimater, la première épreuve se tenant le jeudi. « Entre temps, on va faire ce que l’on fait tout le temps en concours : on la marche vraiment beaucoup et on s’occupe d’elle en permanence entre pansage, couverture Bemer et distribution obligatoire de carottes ! La jument n’a pas fait énormément de concours de plusieurs jours, mais elle a été exemplaire lors des championnats de France au Mans. »
Un comportement de bon augure donc, qui laisse espérer que Quaty laissera pleinement s’exprimer son talent sur le rectangle de Verden.

Pour résumer, « si elle est amenée à avoir peur, ce sera de quelque chose que je n’ai pas pu anticiper parce qu’à la maison je fais tout pour l’avoir mentalement disponible. Ça ne me stresse, pour l’instant, pas du tout. J’ai deux jours entre l’arrivée sur le site et le début des épreuves pour tout lui montrer et finalement, les concours les plus difficiles pour elle c’est lorsqu’elle n’a que peu de temps pour s’acclimater à l’environnement. »

En conclusion, la partie immergée de l’iceberg se révèle une nouvelle fois bien plus complexe que nous l’aurions cru. L’annonce d’une sélection pour les championnats du Monde est à la fois le résultat d’un travail technique de longue haleine et d’une considération exacerbée pour la condition mentale d’un jeune cheval. À 7 ans seulement, Quater Girl va vivre la première très grande étape de sa carrière. Sans être une fin en soi, ce championnat sera un moyen de mesurer les effets des efforts quotidiens d’Antoine Nowakowski pour que sa jument se sente toujours mieux, toujours plus sûre d’elle, toujours plus à même de laisser parler son potentiel.

La semaine prochaine, nous parlerons cette fois de la technique pure en décortiquant les mouvements des reprises que présenteront Antoine et Quaty. D’ici-là, vous pouvez suivre le travail quotidien d’Antoine sur sa page Facebook et/ou son compte Instagram.

@antoine_nowakowski_dressage

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